Un enfant dort à sa mamelle ; Elle en porte un autre à son dos. L'aîné qu'elle traîne après elle, Gèle pieds nus dans ses sabots. Hélas ! des gardes qu'il courrouce, Au loin le père est prisonnier. Dieu, veillez sur Jeanne-la-Rousse ; On a surpris le braconnier. Je l'ai vue heureuse et parée ; Elle cousait, chantait, lisait. Du magister fille adorée, Par son bon coeur elle plaisait. J'ai pressé sa main blanche et douce, En dansant sous le marronnier. Dieu, veillez sur Jeanne-la-Rousse ; On a surpris le braconnier. Un fermier riche et de son âge, Qu'elle espérait voir son époux, La quitta, parce qu'au village On riait de ses cheveux roux. Puis deux, puis trois ; chacun repousse Jeanne qui n'a pas un denier Dieu, veillez sur Jeanne-la-Rousse ; On a surpris le braconnier. Mais un vaurien dit : « Rousse ou blonde, « Moi, pour femme, je te choisis. « En vain les gardes font la ronde ; « J'ai bon repaire et trois fusils. « Faut-il bénir mon lit de mousse ; « Du château payons l'aumônier. » Dieu, veillez sur Jeanne-la-Rousse ; On a surpris le braconnier. Doux besoin d'être épouse et mère Fit céder Jeanne qui, trois fois, Depuis, dans une joie amère, Accoucha seule au fond des bois. Pauvres enfants ! chacun d'eux pousse Frais comme un bouton printanier. Dieu, veillez sur Jeanne-la-Rousse ; On a surpris le braconnier. Quel miracle un bon coeur opère ! Jeanne, fidèle à ses devoirs, Sourit encor ; car, de leur père, Ses fils auront les cheveux noirs. Elle sourit ; car sa voix douce Rend l'espoir à son prisonnier. Dieu, veillez sur Jeanne-la-Rousse ; On a surpris le braconnier.