Sois-moi fidèle, ô pauvre habit que j'aime ! Ensemble nous devenons vieux Depuis dix ans, je te brosse moi-même Et Socrate n'eut pas fait mieux Quand le sort à ta mince étoffe Livrerait de nouveaux combats Imite-moi, résiste en philosophe Mon vieil ami, ne nous séparons pas Je me souviens, car j'ai bonne mémoire Du premier jour où je te mis C'était ma fête, et pour comble de gloire Tu fus chanté par mes amis Ton indigence, qui m' honore Ne m'a point banni de leurs bras Tous ils sont prêts à nous fêter encore Mon vieil ami, ne nous séparons pas À ton revers, j'admire une reprise C'est encore un doux souvenir Feignant un soir de fuir la tendre Lise Je sens sa main me retenir On te déchire, et cet outrage Auprès d'elle enchaîne mes pas Lisette a mis deux jours à tant d'ouvrage Mon vieil ami, ne nous séparons pas T'ai-je imprégné des flots de musc et d'ambre Qu'un fat exhale en se mirant ? M'a-t-on jamais vu dans une antichambre T'exposer au mépris d'un grand ? Pour des rubans, la France entière Fut en proie à de longs débats La fleur des champs brille à ta boutonnière Mon vieil ami, ne nous séparons pas Ne crains plus tant ces jours de courses vaines Où notre destin fut pareil Ces jours mêlés de plaisirs et de peines Mêlés de pluie et de soleil. Je dois bientôt, il me le semble Mettre pour jamais habit bas Attends un peu, nous finirons ensemble Mon vieil ami, ne nous séparons pas