L’esprit des bêtes battant des ailes Par-dessus l’herbe des limites Ces ressacs frémis de diesel Aux galaxies des marguerites Sur la terre enterrée la route Déroule sa salissure Dans les débris des animaux Roués par les roues de torture Ces mortes fourrures se mordant Qui sur le bas-côté se traînent Dans un ultime jet de sang Dépensé à perte d’haleine. Dans le lait givré du matin La troupe des camions défile L’aube pavoisant au lointain Les tours illuminées des villes Et puis paraissent les remparts Que l’or des fenêtres quadrille La petite mort des départs Dans le fleuve où les feux fourmillent Quand la radio nous vocalise Des vogues de gaieté diaphane Sur les radeaux des joies promises Tous ces visages sont en panne. Sur le parking où le ciel fond Brûle le repos du virage Au péage des midis de plomb Déborde la cru des mirages Flottent sur le flou des flots bleus De frissonnantes caravanes Dans les cris écrasants des pneus Qui cicatrisent les platanes Quand le fossé gyrophardise La détresse des clignotances Des bulles teintées climatisent La solitaire indifférence. Par des fenêtres éclairées L’intimité de papier pâle Comme un pull déteint étendu Au fil à linge des vies banales. Et les villages étrangers Changés par l’ange du bizarre Quand les fantômes des chants perdus Gesticulent dans la mémoire Sur la chair molle de la nuit Coupée par les couteaux des phares Les essuie-glaces battant la pluie De lancinantes balançoires. Sous les marées noires du vent Où se baladent des baleines Des bancs de pigeons chatoyants Nagent sur les eaux de la plaine Au loin la banquise des monts Crevassée d’arbres en calanques Et dans la fadeur du goudron Je vois nos vies et tu me manques Tu me manques et je vois nos vies S’éloignant à toute berzingue Et dans l’espace de la survie Le flingue du temps qui nous dézingue. Sens interdit ou giratoire La liberté n’est qu’apparence Crois-tu que tu peux dépasser Les bornes de l’incarcerrence ? Dans ta cellule ambulatoire Pris au filet des kilomètres Sur le corridor pointillé Au code tu dois te soumettre Au long des pays qu’emprisonne La résille serrée des routes L’autonomie qu’on perfusionne Dans les stations du goutte-à-goutte. Ah ! Rouler, rouler jusqu’au brumes Jusqu’à ce gouffre où elle s’arrête Jusqu’à ces bords où le bitume Cède au désert ou aux tempêtes Quand les averses éventées Le soir enrayent leurs mitrailleuses Par-dessus la rivière fanée Découvrant ses morves nitreuses Sur le triple clocher de tôle Plaqué sur l’horizon de cuivre Et là-bas collé sur le môle Ce grand oiseau que je veux suivre. Cet oiseau blanc de songe vert Qui m’invite à suivre sa ligne Au ras de son sillage ouvert Comme deux bras me faisant signe Vers les oreillers du soleil Où s’en-sommeillent les secondes Où la clarté dans ses corbeilles Rince le chant de l’autre monde Où sur les mèches de la mer Les nuages laissent choir leurs peignes Où le couchant sombre incinère Les îles où les sables s’éteignent.