Il est écrit "Bienvenue" à l'entrée du village Sur un panneau en bois entouré d' géraniums Après, y a l'abribus où l' car du ramassage Chaque matin prend deux gosses qui mâchent du chewing-gum Autour, c'est du maïs, du colza, des patates L' seul paysan qui reste - endetté jusqu'au cou - Répand 'vec son tracteur les engrais, les phosphates Faut bien que la terre donne de l'argent, des gros sous L'avait été question d'une zone industrielle Qu'aurait p't-être apporté un p'tit boulot pour lui Puis, y a rien qui s'est fait, la seule bicoque nouvelle C't un hangar où végètent trois poulets en batterie Au moment des récoltes, des Polonais, au noir, Payés à coups d' lance-pierres se penchent sur les champs C'est c' qu'on pourrait appeler un patelin sans histoire Un p'tit bled bien d' chez nous, presque pareil qu' dans l' bon temps Y a des réverbères neufs, on dirait des anciens Des fermes rénovées avec tuiles vieillies Avec pierres apparentes, grilles en fer, p'tits jardins Et garages pour quatre-quatre dans l'ancienne écurie La fontaine où jadis on abreuvait l' bétail On l'a remplie d' terreau, r'couverte de capucines De toute façon, la flotte n' valait plus rien qui vaille Vu la décharge qui dort là-haut, dans la colline On voit des traces de lettres sur le mur d'une p'tite maison Ça d'vait être l'épicerie, à c' qu'on dit, à c' qu'on croit De l'école, reste juste le perron, le clocheton Pour l' bistrot y a des doutes : où était-il ? On n' sait pas Y a un couple de profs tiers-mondistes vaguement Z'ont voulu faire une fête d'vant chez eux, dans la rue Pour créer des liens, tu parles, pour rapprocher les gens Z'ont pas vu un pelé, pas un tondu non plus Quand y a un vieux qui claque, faut voir ça dans l' quartier Tous les vautours qui s' pointent, promoteurs, antiquaires Et le mort est à peine refroidi, enterré Qu'on a d'jà liquidé toute sa vie aux enchères L' dernier qu'a tout achetén c't un type bien, c't un banquier, Sa femme qu'adore l'air pur s' voit d'jà faire la fermière Dans c' qu'on pourrait appeler un endroit préservé Plantera du biologique, cultivera comme naguère C'est pas tout, y a, plus loin, posées sur l' bord d' la route D' ces villas mitoyennes où ça vit bien à l'aise Crépi façon Provence, elles se ressemblent toutes Avec le parasol, la table et les quatre chaises Sur les p'louses ont fleuri les piscines en plastique Les paraboles pointées vers un bout d' l'infini Dommage que juste au-d'ssus, y a la ligne électrique Et ces foutus pylônes qui font d' l'ombre à midi Y a les ados piercés, pantalons sur les fesses Qui se la jouent rebelle et consomment à tout va Des r'traités qu'aimeraient bien retrouver leur jeunesse Et font d' la gymnastique un peu comme les Chinois On tond l' gazon l' sam'di, on astique la bagnole Et puis on s' tape trente bornes jusqu'au centre commercial On remplit l' monospace de bidoche et d' picole On engueule le gamin qu'est vraiment infernal Sur des affiches y a d' chouettes gonzesses qui montrent leur cul Un cow-boy sur son ch'val qui fume et dit "Be free !" Le dimanche, c'est plus calme, odeur des barbecues Transistors, crème solaire et voisins qui s'épient Bref, il manque rien là pour nager dans l' bonheur Y a tout : la liberté et le progrès qu'avance Le paradis sur Terre, pour le chercher ailleurs, Faut être naze, il est là ! C'est-y pas l'évidence ? Si tu veux des racines, si t'as b'soin d'authentique Si t'as trois sous d'vant toi et pis qu' t'es propre et blanc Ben ouais, faut quand même pas que n'importe qui rapplique Viens t'installer ici, tout est prêt, on t'attend Il est écrit "Bienvenue" à l'entrée du village Sur un panneau en bois entouré d' géraniums...